Médecine génomique, Médecine de demain ? espoirs et illusions

Conférence passionnante par le Professeur Sylvie Manouvrier– Département universitaire de Lille – Clinique de Génétique Guy Fontaine du CHU de Lille.

La médecine génomique

La génétique médicale est une discipline récente dédiée aux patients atteints de maladies génétiques (qui sont souvent des maladies rares mais touchent plus de 5% de la population) 

Rappelons que notre corps est constitué de cellules qui proviennent toutes de la première cellule, union de l’ovocyte et du spermatozoïde.

Au cœur de chacune d’entre elles se trouve le noyau qui contient les chromosomes. Ces derniers sont constitués d’ADN qui porte les gènes, qu’on peut comparer à des recettes nécessaires au développement puis au fonctionnement des divers organes et tissus du corps.

Les techniques d’analyse de la totalité de l’ADN du noyau d’un individu (son génome) sont de moins en moins couteuses.

La génétique médicale a pour objectifs le diagnostic des maladies génétiques et, grâce à l’expertise des généticiens, la prise en charge des patients de manière :

  • Prédictive : connaitre la(es) maladie(s) risquant de se déclarer chez une personne avant l’apparition des premiers symptômes ;
  • Préventive : prévenir des récidives (par diagnostic prénatal ou préimplantatoire en cas de maladie grave et non curable) ou mise en place des mesures de prévention de la maladie avant qu’elle n’apparaisse chez des personnes à risque ;
  • Participative (avec l’accord de la personne)
  • De précision, plutôt que Personnalisée.

Le généticien a également un rôle important dans l’information génétique au patient et à ses apparentés.

Cependant, les choses sont plus complexes qu’il n’y parait car :

  • Le génome nucléaire (l’ADN du noyau des cellules) n’est pas le seul que possède une personne : il y a aussi l’ADN contenu dans les mitochondries (petites structures contenues dans les cellules à qui elles fournissent l’énergie), celui des millions de bactéries qui colonisent l’intestin et dont les variations peuvent être des facteurs favorisants ou protecteurs de nombreuses pathologies et, en cas de tumeur maligne, l’ADN tumoral qui a subi des modifications par rapport à l’ADN constitutionnel de la personne ;
  • L’environnement interfère avec le capital génétique et certaines variations génomique peuvent être délétères dans un environnement ou constituer un avantage dans un autre ;
  • Être capable de séquencer la totalité des 3,2 milliards de paires de bases ATGC d’un individu ne signifie pas qu’on en connaisse pour autant la signification. En effet, d’une part les parties codantes de l’ADN (gènes = recettes) ne représentent que 2% de ce dernier, le reste portant les éléments régulateurs permettant aux gènes de s’exprimer au bon moment et dans les bonnes cellules (or ces éléments régulateurs restent très mal connus) ; d’autre part, il reste souvent très difficile de connaitre réellement les conséquences des milliers de variants identifiés chez chaque individu.

Si le séquençage est maintenant automatisé et réalisé en quelques jours, l’interprétation d’un génome nécessite le recours à une bio-informatique puissante et à l’intelligence humaine pour confronter les données obtenues et la clinique.

Il faut parfois des mois voire des années pour obtenir un résultat fiable. Et les analyses doivent être réinterprétées au fur et à mesure des progrès des connaissances.

  • Enfin, l’interprétation correcte du génome d’un individu nécessite de pouvoir le comparer à celui des ses parents, qu’il faut donc pouvoir prélever eux aussi.

Néanmoins, la médecine génomique a un intérêt majeur dans les maladies rares (et d’autres), que ce soit au niveau du diagnostic, car d’un diagnostic de certitude dépend souvent l’amélioration de la prise en charge et la prévention des complications (par exemple le diagnostic étiologique de la déficience intellectuelle est passé de 12% à 45 %) ; ou de l’information génétique du patient et de ses apparentés.

La médecine génomique permet aussi d’adapter les traitements : par exemple administrer la bonne dose d’un médicament en fonction de la sensibilité individuelle à ce dernier ; ou choisir la molécule adaptée au génome tumoral.

Si la médecine génomique comporte donc déjà d’importantes avancées et suscite beaucoup d’espoirs, il n’est pas inutile d’en connaitre aussi le revers de la médaille, notamment les questions éthiques soulevées par les découvertes dites additionnelles.

En effet, l’analyse complète du génome ne peut être ciblée sur les gènes potentiellement impliqués dans la pathologie justifiant l’analyse.

Elle risque donc d’identifier des anomalies sans lien avec le motif de la prescription et qui pourraient avoir un impact sur la santé du patient et/ou de ses apparentés, mais dont la signification réelle peut rester incertaine en l’absence d’histoire familiale ou personnelle.

D’autre part, certaines variations identifiées peuvent constituer un facteur de prédisposition (obésité, diabète, difficultés scolaires…) parfois très faible et toujours largement impacté par l’environnement.

La question du réel intérêt de le savoir versus l’impact délétère de cette révélation sur le regard que des parents peuvent poser sur leur enfant doit être posée.

Actuellement, en France tout patient présentant une pathologie pouvant avoir un caractère génétique peut bénéficier d’une analyse génétique ciblée sur sa pathologie (par exemple 80 gènes de surdité ; Plus de 500 gènes de déficience intellectuelle ; gènes de prédisposition aux cancers …) prescrite par un médecin quelque soit sa spécialité.

Ces analyses sont adressées dans un des laboratoires nationaux agréés experts de la pathologie.

En revanche l’analyse du génome complet ne peut être prescrite que par un généticien compte tenu de sa complexité qui doit être bien expliquée au patient.

Chez les patients qui ne sont pas eux-mêmes malades mais chez qui une analyse génétique est nécessaire soit parce qu’ils sont susceptibles d’avoir un enfant atteint d’une maladie génétique, soit parce qu’ils sont eux-mêmes à risque de développer une maladie identifiée chez un de leurs parents (médecine prédictive), l’analyse ne peut être prescrite que par un médecin généticien.  

Les analyses génétiques accessibles sur Internet : génétique récréative, mais pas que !

Malgré leur interdiction en France, de multiples propositions d’analyse génomique sont accessibles sur Internet à partir de pays étrangers (USA, Chine, Inde …).

Elles vous proposent parfois de connaitre vos ascendances (ce qui peut rester récréatif, même si assez peu fiable), mais aussi des tests de paternité, d’identifier le « bon » partenaire … et parfois vos éventuelles prédispositions aux maladies (cancers, pathologies cardiovasculaires etc.).

Ces analyses manquent de fiabilité et ne peuvent être correctement interprétées en l’absence de données médicales et familiales.

Ne vous laissez pas tenter !