De l’Ombrie à Florence : entre le réel et le merveilleux
Alejo Carpentier rassemble ces deux mots dans sa théorie “le réel merveilleux”, qui est davantage un mode de rapport au monde, tenant compte des enjeux culturels et historiques sur lesquels nous tentons de bâtir notre identité humaine.
Avant Florence, il y eut l’Ombrie, trois jours à découvrir Assise aux fresques colorées, Pérouse avec ses remparts, ses rues médiévales escarpées, ses fontaines gothiques et sa grande université puis Arezzo, cité étrusque fertile en œuvres d’art, céramique sigillée ou métaux repoussés.

Jeudi 22 mai
C’est l’entrée dans la capitale de la Toscane !
Florence, qui préserve jalousement tous les attraits de son riche passé et possède 25% des œuvres d’art du monde.
Florence, qui engendra plus d’artistes que n’importe quelle autre ville, de Giotto à Fra Angelico, Michel-Ange ou Botticelli, Dante, Machiavel, Galilée … et où tous les arts s’exprimèrent dans un foisonnement unique : peinture, sculpture, céramique, joaillerie, architecture, littérature, magie des jardins.

Florence, foisonnant de chefs d’œuvre, pour lesquels les mots “exceptionnels”, “uniques”, “extraordinaires” n’expriment qu’une petite partie de la vérité artistique qu’elle nous offre.

Florence, ville musée, mais aussi ville vivante, où l’on traverse le Ponte Vecchio, grouillant de monde, pour aller flâner dans l’Oltrarno avec ses ateliers poussiéreux dans lesquels des artisans transforment la matière brute en œuvre d’art, sous le regard invisible et attentif de Brunelleschi.

Florence, ville de magie où, loin des rues agitées, on découvre des venelles ombrées aux trottoirs étroits, aux pavés disjoints sur lesquels résonne encore l’écho des cavaliers pressés de se rendre dans l’un de ces palais à hauts murs fermés par des portes massives, en fer ou en bois clouté.

Tard le soir, entre les tours de pierre et le Dôme rouge, on aperçoit, au-dessus des toits, de fiers cyprès et des vignes gorgées de soleil. Tout devient calme et douceur. La ville rouge et verte s’emplit d’ombre et n’est plus que noblesse et beauté.

Ce jeudi, sous la houlette attentive et énergique de Sophie Massard, nous visitons la Capella Brancacci où l’on peut admirer les magnifiques fresques de Masaccio (mort à 27 ans) retraçant, tableau par tableau (une bande dessinée en quelque sorte), la vie de Saint Pierre. Une promenade dans l’Oltrarno nous ramène à nos hôtels avant la cérémonie d’ouverture des Cultural Days qui suivent les deux journées de travail du BCI, réservées aux Présidentes des Fédérations. Cette cérémonie a lieu au Palazzo Strozzi Sacrati où nous accueillent très officiellement Mme le Conseiller Culturel de la Mairie et M. le Président du Conseil de la Ville.

Nous rencontrons là environ 70 lycéennes et leurs accompagnants, représentant 9 nations, incluant l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis, qui n’ont pas peur des distances.
C’est avec bonheur que nombre d’entre nous s’exclament en retrouvant des visages connus et amis.

Vendredi 23 mai
A 9 h 30, conférence d’ouverture à la Galeria dell’ Academia au cours de laquelle nous est retracé “le grand tour”, voyage culturel au XIXe siècle, incontournable pour les artistes de tout poil et les milliardaires excentriques qui traversèrent Florence, ou y résidèrent.

Puis, visite des Offices lors de laquelle, dans un parcours didactique, nous allons du Moyen Age et des Primitifs italiens, dont la facture reste extrêmement byzantine, jusqu’à Giotto qui introduit un aspect très contemporain en attribuant des visages “actuels” à la Vierge ou aux différents saints. Nous notons que la forme des auréoles passe d’une forme plate, en “assiette” posée sur la tête, à un simple halo doré.
Au fur et à mesure de ce parcours, nous côtoyons Masaccio, Donatello, puis Fra Lippo Lippi peintre qui, pour la première fois, se représente dans l’un des personnages du Couronnement de la Vierge.

Avant de découvrir ou de redécouvrir le “Printemps” et la “Naissance de Vénus”, nous admirons deux portraits de Piero Della Francesca “Duc et Duchesse d’Urbino”, saisissants de réalisme.

Sandro Botticelli, élève de Fra Lippo Lippi, est un personnage très cultivé, car il vit au palais des Médicis et rencontre quotidiennement des artistes, des écrivains, des savants accueillis par les ducs de Florence.
La “Naissance de Vénus” était un cadeau de mariage destiné à Lorenzo Médicis, comme tête de lit ! On retrouve dans ce tableau, comme dans “le Printemps”, tous les éléments qui mettent en valeur la culture et l’argent des Médicis et l’on identifie pas moins de 250 espèces de plantes dans ces deux tableaux !

Entrons de plain-pied dans le XVIe siècle avec Michel-Ange, Raphaël ou Léonard de Vinci, artiste protéiforme qui, souvent, s’offre le luxe de ne pas terminer ses tableaux ! “La nature est maîtresse de l’Art”, a-t-il dit. Il n’est que de regarder la finesse des détails, des feuilles et diverses essences d’arbres aux plumes des oiseaux.
Avec Michel-Ange apparaît un nouveau type d’expression picturale. Le dessin s’affine. Le peintre cherche à transposer sa sculpture dans ses tableaux : le corps est “sculpté”, les muscles sont mis en évidence, les couleurs sont plus froides, ce qui n’est pas forcément du goût des mécènes.

Enfin, vint Raphaël, élève de Michel-Ange à Rome et nous restons sans voix devant le bleu lapis-lazuli de “La Madone à l’enfant”.
Nous passons rapidement l’époque des grisailles et du “maniérisme” (c’est-à-dire “à la manière de”) pour nous attarder quelque peu devant la galerie des portraits, tous alignés dans le grand couloir des Offices, particulièrement sur le portrait d’Eléanore de Tolède par Le Bronzino, en admirant le rendu exceptionnel des différents tissus.

Traversant à nouveau la ville d’un pas alerte, nous arrivons devant le magnifique bâtiment qui, depuis le XIIIe siècle, abrite l’Officina Profumo Farmaceutica di Santa Maria Novella, créé par les moines dominicains peu après 1221, année de leur arrivée à Florence.
Les herbes médicinales sont cultivées dans leur potager et servent à préparer les médicaments, les baumes et les pommades destinés à leur usage personnel.
Par la suite, la renommée des produits dépasse la seule ville de Florence, s’étend au pays tout entier et à l’étranger. En 1612, il devient nécessaire d’ouvrir au public les portes de la pharmacie. L’activité prend alors le nom de “Fonderie de son Altesse Royale” et les produits sont connus jusqu’en Russie, aux Indes et en Chine.
Les biens de l’église étant confisqués à la fin du XIXe siècle, la propriété de l’activité passe à l’Etat qui, pourtant, l’attribue au Dottore Stefani, neveu du dernier Moine Directeur de l’Officina.
Depuis cette date, quatre générations de la même famille se succèdent à la tête de Santa Maria Novella.

Après la visite de la Bibliothèque et de sa magnifique collection de céramiques et de verreries anciennes, nous traversons la salle des alambics, qui côtoient les anciennes machines, la tête chavirée par les parfums doux, mais entêtants, qui se diffusent entre ces murs historiques. Puis nous entrons dans le jardin d’herbes, oasis de réflexion, qui semble s’être figé dans le temps. Entrons dans la magie pour en ravir le secret !
Respirons “L’acqua della Regina” spécialement créée pour Catherine de Médicis, découvrons avec ravissement l’ensemble de la ligne de beauté, dégustons des chocolats au parfum étrange et suivons le sillage du mythique Pot -Pourri, mélange d’herbes et de fleurs venues des collines toscanes.
Dehors, c’est encore du soleil, des parfums et bientôt la Musique.

Après un dîner très convivial autour d’un buffet toscan, au Teatro della Pergola, nous nous retrouvons via Alfani, au siège du LCIF, très bel hôtel particulier du XVe siècle, orné de boiseries magnifiques et de tapisseries aux couleurs sombres.
Une étonnante violoncelliste nous interprète Beethoven, Brahms et Debussy, en tirant de son instrument des sons graves, doux et profonds, accompagnée par une jeune pianiste japonaise très “énergique” !
Belle soirée s’il en fût et retour dans la douceur de la nuit florentine.

Samedi 24 mai
Il fait doux, il est tôt. Nous décidons avec Marie Anne d’aller visiter le musée San Marco, tout près de notre hôtel. Là, nous retrouvons nos amies de Paris et de Bordeaux.
C’est l’heure divine de contempler dans le silence des cellules monastiques les plus belles fresques de Fra Angelico : la douceur des teintes de pastel, la composition originale et parfois contemporaine des figures, la représentation qui met en évidence la partie basse de la fresque (partie terrestre), la partie haute (spiritualité) et ces visages ineffables empreints d’une foi profonde.

Sur la route qui doit nous conduire à la Forteresse da Basso, pour visiter l’Opificidio delle Pietre Dure (l’équivalent du centre de restauration des Musées de France), arrêtons-nous au Palais Medici Ricardi pour admirer l’ensemble de “grisailles” qui décorent chaque salle puis, plus particulièrement, la Chapelle des Mages : entièrement décorée, du sol au plafond, et représentant sur les quatre côtés l’arrivée des Rois Mages, précédés et suivis d’un immense cortège de nobles, hommes d’armes, serviteurs, paysans, animaux et marchandises, dans un paysage foisonnant de détails où les couleurs, vives et précises, sont rehaussées d’or et de pourpre, telles les enluminures d’un livre d’Heures géant.

“Dieu est dans le détail”, a dit Mies Van der Rohe. Oui, Dieu est bien là, dans ce témoignage exceptionnel de l’Art porté par la Foi.

Il est l’heure de nous rendre d’un pas rapide à la Forteresse, avec la volonté de garder dans les yeux et dans la tête tant la douceur des fresques de San Marco que l’éblouissement des Mages de la Cappella, persuadées que nous étions que tout autre tableau, si beau soit-il, viendrait polluer ce souvenir que nous voulons garder impérissable. Quelle erreur !

Car, à l’Opificidio della Pierre Dure, guidées par une jeune et charmante conférencière passionnée par son métier, nous découvrons, stupéfaites, plusieurs œuvres en restauration : un immense Christ (de 6 mètres de haut environ) attribué à Giotto, “l’Adoration des Mages” de Léonard de Vinci, la “Marie-Madeleine dans le désert” de Donatello en bois sculpté et, touchant au sublime, un Fra Angelico dont je garde encore le “goût” du bois sous mes doigts !
Et, sans transition, nous franchissons les siècles pour nous retrouver devant un Jackson Pollock.
Toutes les techniques de datation, de restauration nous sont minutieusement détaillées : les questions fusent, les réponses nous sont données avec une patience qui n’a d’égale que la gentillesse de nos hôtes.
La matinée est déjà finie, vite une “tomate mozzarella” avant de traverser le Ponte Vecchio et nous retrouver au Palais Pitti pour découvrir à la fois la Galerie des Costumes, plus particulièrement axée sur le siècle dernier, et la splendide collection de pièces d’argenterie et de verrerie précieuses, ainsi qu’une exceptionnelle exposition de bijoux ayant appartenu aux grandes familles de la ville.

1 7 h 00! Il est temps de nous hâter lentement pour se préparer à la “soirée de gala », dont nos amies florentines nous ont assuré qu’elle serait “unique”.
Retour via Guicciardini, jouxtant le palais Pitti.
Derrière de hauts murs, typiques des palais florentins, nous découvrons tout d’abord de magnifiques jardins où pépient déjà la plupart de nos amis, puis la façade d’un palais datant très probablement du XVe siècle.

Après l’incontournable “photo de famille”, nous gravissons de magnifiques escaliers. Là, “une terreur douce et glacée enveloppe l’âme instantanément quand la beauté s’abat sur elle. ”
Nous marchons dans un rêve de beauté et de magnificence : un palais regorgeant de tableaux, de sculptures, tout en présentant l’image de la vie ; car c’est là que vit notre amie Maria Teresa Guicciardini qui nous accueille dans cette “maison”, la sienne et celle de sa famille depuis plus de 500 ans, famille plus ancienne que les Médicis qui leur ont acheté le terrain nécessaire à la construction du fameux corridor de Vasari, reliant les Offices au Palais Pitti !
La simplicité de son accueil n’a d’égale que la somptuosité de ce palais. Nous découvrons la bibliothèque aménagée par son arrière-grand-père et répertoriée dans le monde entier. Tout nous laisse sans voix.

Oui, je le pense, seule l’Italie peut nos offrir de tels moments d’exception, et nous avons fait là provision de souvenirs.
Ces souvenirs, nous les engrangeons chacune à notre manière, souvenirs intimes, personnels que nous gardons en nous ou souvenirs partagés avec nos amies. La force de notre Club, c’est que nous nous sentions toujours à l’aise quand nous rencontrons d’autres lycéennes, car nous sommes soudées par les mêmes valeurs : “le Goût des autres et celui de l’esprit ». V. MdR