Aurélien Poidevin, professeur agrégé d’histoire à l’Université de Rouen, spécialiste de l’histoire administrative politique et sociale du spectacle vivant aux XIX et XX, s’est fait désirer. Sa conférence a été remise 4 fois, pour cause de grève de train puis en raison de la covid.

Durant une heure et demi, il évoque les femmes musiciennes sous l’Occupation, mettant en lumière quatre institutions placées sous le double contrôle d’un Etat « dit français » et d’un occupant particulièrement regardant en matière de vie musicale : le Conservatoire de Paris, la Radio, le Palais Garnier et la salle Favart.
Tout au long de sa présentation Aurélien Poidevin alterne portraits de musiciennes injustement oubliées, rappel des faits historiques et du fonctionnement des institutions culturelles.
A l’aide d’extraits musicaux et d’archives photographiques, il fait revivre la figure de quelques-unes de ces femmes méconnues dont l’attitude a été bien différente pendant l’occupation.
- Elsa Barraine, élève de Paul Dukas, compositrice et pianiste, lauréate du prix de Rome. Elle s’engage dans la résistance et participe à la création du Front National des Musiciens Français. Le groupe publie une revue clandestine “Musiciens d’ aujourd’hui”, qu’elle transporte ainsi que des documents secrets dans le guidon de son vélo.
- Irène Joachim cantatrice, soprano, elle s’illustre dans le rôle de Mélisande de Pelléas et Mélisande de Debussy. Elle refuse les invitations officielles à participer à des manifestations organisées par les allemands et prend une part active dans la résistance au sein du front national des musiciens.
- Germaine Lubin, l’ampleur, la pureté et la qualité de sa voix sont incomparables. Elle incarne les héroïnes wagnériennes et chante aux festivals de Salzbourg et de Bayreuth. Elle déclenche l’admiration d’Hitler et poursuit sa carrière dans Paris occupée en interprétant le rôle d’Isolde devant les dignitaires nazis.
On la voit photographiée au côté d’Herbert Von Karajan.
Elle est arrêtée en 1944 pour faits de collaboration. On lui reproche ses sympathies allemandes et la dénonciation à la gestapo de son couple de jardiniers. Le jury de la cour de justice d’Orléans la condamne à l’indignité nationale et ses biens sont confisqués.
La Réunion des théâtres lyriques nationaux est instituée entre l’Opéra de Paris (salle Garnier) et l’Opéra Comique (salle Favart).
Dès l’annonce de la guerre, l’Opéra ferme ses portes et se replie à Cahors. Il rouvrira très vite ;
Au lendemain de l’armistice, Hitler visite l’Opéra de Paris, l’autorise à reprendre son activité et tente de faire de la musique classique un outil de propagande ; Les Allemands proposent tous les jeudis un concert de musique militaire.
La répression et la censure s’accélèrent. Darius Milhaud, d’origine juive, est qualifié de compositeur d’art dégénéré et contraint de s’exiler aux États-Unis. Son épouse Madeleine Milhaud, librettiste, écrira les livrets de plusieurs de ses opéras.
La résistance musicale s’organise. D’abord symbolique, par de petits gestes. Des notes de chants patriotiques sont glissées dans les partitions.
Francis Poulenc écrit des mélodies sur les poèmes de Paul Eluard (Poésie et Vérité) qui sont tous des textes de lutte, des chansons interdites sont enregistrées.
Des concerts privés et clandestins sont organisés. Ils permettent aux musiciens juifs ou exilés de continuer à travailler et composer.
Pour réaliser cette conférence, Aurélien Poidevin s’est notamment appuyé sur les collections du Musée de la Résistance Nationale de Champigny sur Marne, avec notamment l’agenda 1940 du Service de la Machinerie de Paris. Ce document se révèle être une mine de renseignements pour retracer la vie interne du Théâtre, permettant de mieux comprendre son fonctionnement.
A l’issue de son propos, plusieurs questions furent posées et c’est tout un pan de de notre histoire relativement méconnu qui a été mis au jour, nous donnant l’envie de l’approfondir.