Périodiquement, le Musée met en lumière un tableau faisant partie des collections permanentes, en permettant une analyse approfondie et une lecture plus complète de l’œuvre. C’est le cas, cette fois, pour la “Figure d’Apôtre” de Jordaens. Ce dernier fut, avec Rubens et Van Dyck, un des grands peintres flamands du XVIIe s.
Ainé d’une fratrie de 11 enfants, issu d’une famille aisée de la bourgeoisie anversoise, il entreprend des études artistiques à l’âge de 14 ans, en 1620, dans l’atelier de Rubens, en tant que peintre à la détrempe (à base d’œuf). Il y côtoie Van Dyck et ils y travaillent tous les deux pendant 2 ans comme élèves de Rubens.
Van Dyck entreprend un voyage initiatique d’artiste en Italie, selon la mode de l’époque. Jordaens devient alors le peintre principal de l’atelier de Rubens. Là, il va beaucoup travailler la matière et la couleur avec un réalisme typique de la peinture flamande.
Le tableau que nous observons, huile sur panneau, peint en 1620, est entré au Musée de Caen en 1813 dans un très mauvais état et il a dû subir deux restaurations. Il fut répertorié comme “Buste de mendiant”. Outre les qualités de peintre de Jordaens, l’intérêt du tableau réside aussi dans le choix du sujet. Il s’agit d’Abraham de Graff (ou Abraham Graphens) originaire d’Anvers, peintre et calligraphe (il a eu lui-même des élèves). Ce personnage à la chevelure désordonnée et touffue, aux joues flasques et au yeux broussailleux et cernés, a été portraituré de très nombreuses fois, non seulement par Jordaens, mais aussi par Van Dyck, Rubens, Cornélis de Vos, etc . Il était, en effet, bien connu des artistes en tant que ”knaep” (sorte d’homme à tout faire de la Guilde des Artistes dont fait, entre autres, partie Jordaens). On le retrouve de face, de profil, penché, tête relevée etc. avec son visage si particulier.
Le portrait réalisé par Jordaens est, en réalité, une ”tronie”, étude peinte, ou destinée, d’un visage servant d’étude pour une mise en scène, plus complexe, d’histoire ou de mythologie. La ”tronie”, concept nordique, est très à la mode au XVIIe s. C’est une sorte de documentation, mise en attente : les élèves piochent dans les esquisses en réserve pour réaliser des sortes de ”copiés-collés” dans les grandes compositions.
Van Dyck, Jordaens, Rubens, De Vos, ont utilisé de nombreuses tronies d’Abraham Graphens que nous nous amusons à retrouver dans la vingtaine de reproductions de tableaux exposées autour de la “Figure d’apôtre”. M-F J.