Annie de Géry, notre conférencière, nous rappelle le passé florissant de Bernières, grâce aux activités agricoles (culture de céréales) et à celles liées au port établi sur la Seulles d’où on embarquait huîtres et pierre de Creully vers l’Angleterre. Le bourg eut jusqu’à cinq fiefs. Mais, à la fin du XVIIe siècle, l’embouchure du fleuve côtier se déplaça à Courseulles suite à de violentes tempêtes, l’estuaire fut ensablé, le port de Bernières disparut.
Symbole de cette ancienne prospérité par ses dimensions et sa flèche, l’église ND de la Nativité est un édifice majeur de la Plaine de Caen et du Bessin ; elle fut classée Monument Historique sur la première liste de 1840, grâce à Prosper Mérimée. “Elle est d’une pureté de trait qui retient inlassablement le regard” disait d’elle Jean de La Varende.
Cette église paroissiale a été édifiée sur une terre achetée à Guillaume de Courseulles par l’évêque de Bayeux Odon, demi-frère de Guillaume le Conquérant, qui l’offrit avant 1066 au Chapitre de sa cathédrale. La construction, que l’on pense être située sur un cimetière saxon, s’est étalée du XIIe au XVIIIe siècle.
A l’extérieur, les quatre premières travées de la nef, remontent aux années 1130-1140, époque de l’achèvement de l’Abbaye aux Dames de Caen. Le clocher, roman lui aussi, est finement orné d’arcatures et d’ouvertures. Au début du XIIIe siècle, alors qu’un chœur gothique était construit plus haut que la nef en prévision de l’aménagement gothique de celle-ci, qui ne se fera pas, la base de ce clocher servit de point de départ à un clocher gothique plus élancé, à flèche haute de 67 m qui servait d’amer. La nef est garnie d’arcatures romanes en plein-cintre et de baies de la même époque. Sur le clocher, oculus à cinq lobes, arcatures composées de colonnettes à chapiteaux sculptés de végétaux, arcs brisés. Les mêmes chapiteaux se retrouvent sur le portail latéral gothique, dont des fleurons ornent le tympan.
On observe le voûtement gothique du porche et ses voussures romanes en plein cintre ; le portail est gothique. L’harmonie de l’ensemble de l’édifice tient au matériau utilisé : la chaude pierre de Creully, que l’on retrouve sur la cathédrale de Bayeux et les grandes églises du Cotentin.
La toiture est couverte d’ardoises de Tourlaville de belle couleur verdâtre, qui brille sous la pluie (la même qu’à l’Echiquier de Caen). L’utilisation de ce type de couvrement s’arrête en 1340, après la terrible bataille de l’Ecluse gagnée par Edouard III d’Angleterre ; elle fit perdre à Philippe VI de Valois la grande flotte française, et donna ainsi la Maîtrise de nos mers à l’ennemi tuant, pour nous, tout commerce par bateau et ouvrant la porte de la Normandie aux Anglais. La dendrochronologie permet de dater la charpente du chœur entre 1460 et 1500, celle de la nef entre 1600 et 1650.
A l’intérieur, le chœur gothique, du XIIIe siècle, ressemble fortement à ceux de la cathédrale de Bayeux et de l’abbatiale de Longues sur mer. Au-dessus des arcades, une étroite galerie de circulation (triforium non continu) permet d’accéder aux combles par des petits escaliers. La nef est romane. Voûtée sur croisées d’ogives elle s’inspire de celle de l’abbaye de la Trinité à Caen, où le même voûtement couvre le chœur.
Ses arcades romanes en plein cintre présentent un décor de frettes crénelées alors que les arcades des chapelles latérales gothiques sont en arcs brisés et à cannelures.
Le bas-côté nord est voûté sur croisées d’ogives reposant sur des chapiteaux à godrons et figures humaines encore grossières (XIIe), visages solitaires aux pommettes saillantes et yeux globuleux regardant vers l’Au-delà et qui, parfois, portent de longues moustaches. Le bas-côté sud est voûté sur croisées d’ogives du XIIIe siècle.
Vers 1616, la famille de Cauvigny, en remerciement pour avoir été épargnée par le choléra, fit aménager, au nord, une chapelle, largement ouverte sur le chœur. Dans un pilier jouxtant le chœur elle fit creuser un élégant lavabo néo-classique.
De 1849 à 1851 une première campagne de travaux permet la réfection des 3 premières travées du bas-côté nord. En 1888, l’architecte des Monuments historiques Victor Ruprich-Robert exhausse les murs du chœur et ceux de la nef pour rétablir les baies hautes du chœur décorées de vitraux à losanges, et des clochetons de la tour ; il reconstruit la tourelle de l’escalier des combles, restaure les trois premières travées du bas-côté sud de la nef, les trois baies ouest du bas-côté sud, le décor des colonnettes et les chapiteaux romans de la nef.
En 1890, Anthime de La Roque fait restaurer le clocher fendu par la foudre sur plus de 5 mètres. On reconstitue le décor de la flèche. Le 6 juin 1944 le clocher et la couverture de la nef sont endommagés par les obus de marine. L’architecte en chef des Monuments historiques, Marcel Désiré Poutaraud, est chargé de la restauration en 1952.
Aucun objet d’art de l’époque médiévale ne subsiste. Dans la chapelle de la famille de Cauvigny, très belle [*Crucifixion*] sur panneau de bois réalisée vers la fin du XVIe siècle ; de provenance inconnue, on pense que son auteur appartient à un cercle d’artistes nordique car certains éléments peuvent rappeler les gravures du hollandais Lucas de Leyde.
Le maître-autel en bois, comme le tabernacle, a été réalisé entre le milieu du XVIIe et celui du XVIIIe siècle.
Le remarquable retable de pierre du XVIIe siècle, est un des plus monumentaux du Calvados. Il est surmonté de trois statues : une [*Vierge à l’Enfant*] abritée dans une niche centrale à pilastres, en pierre. Deux grands [*anges aux ailes déployées*] polychromes sont assis de part et d’autre dans une position instable très baroque. Au- dessous, de puissantes colonnes torses ornées de feuillages et chapiteaux corinthiens encadrent un tableau du XIXe représentant la naissance de la Vierge. Des statues de la Charité et l’Espérance, en bois polychrome, surmontent les portes latérales menant à la sacristie du chevet.
Trois ex-voto marins témoignent du passé maritime de Bernières : un tableau offert en 1805 par Charles Sègle et son équipage représente une scène de naufrage peinte en trompe l’œil. Son originalité tient à la nature de son support, du satin de soie, et à sa forme de médaillon ovale. La maquette la plus ancienne (de 1840) représente un vaisseau de guerre à trois ponts pouvant accueillir jusqu’à 120 canons. La deuxième représente un trois-mâts de commerce, proche de ceux construits alors au Havre ou à Honfleur. Une troisième a disparu. Un sarcophage de pierre affleure dans le bas-côté sud de la nef.
La pluie a cessé, nous admirons le sud de l’église puis filons au plus vite prendre un bon thé chez Elisabeth et Erik, en compagnie de la conférencière, dans une des belles maisons du bourg. A.T.
