005_groupe_b.jpg

Jeudi 17 Juin 2010 soleil sur la commune du Mont Saint Michel, œuvre humaine élevée sur un îlot de granit aux flancs abrupts, haut de 80m, appelé Mont Tombe au Moyen Age (> Tumba , latin : tumulu s), nom proche de celui de la butte de Tombelaine voisine. Monument historique en 1862, 1er site français à figurer sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 1979, c’est le 2 ème site touristique de France, après l’Ile de France. Sur l’abbaye aux allures de citadelle, la statue de St Michel culmine à 170m au-dessus du rivage.

Lieu de culte druidique, le rocher devint Mt-St-Michel-au-péril-de-la-Mer après l’édification d’un oratoire au saint vu 3 fois en songe, en 708, par Aubert, évêque d’Avranches. L’archange lui demandait de lui consacrer le lieu où l’on retrouverait un taureau volé. Michel (Mi-ka-ël, « Qui est comme Dieu »), Prince de la Milice Céleste, n’était pas commode, vêtu de sa tunique blanche et portant une épée flamboyante : on conservait dans l’église St Gervais d’Avranches le crâne de l’évêque incrédule portant au front la trace laissée par le doigt de l’archange qui voulait qu’Aubert comprenne qu’il lui intimait l’ordre de construire une réplique à son sanctuaire italien, élevé au V e siècle à Monte Gargano, presqu’île rocheuse des Pouilles, sur la mer Adriatique. (Cette relique tombée opportunément du plafond de la 1 ère église lors de sa consécration du 13 X 1609, contribua souvent à la préparation d’un bouillon contre les fièvres).

Le 16 X 709, après l’apport de reliques italiennes (un morceau du manteau rouge porté par l’archange et un fragment de l’autel où il avait posé le pied au Mt Gargano), on consacra la petite église circulaire en pierre locale et aux dimensions de l’endroit foulé par le taureau ou de l’espace laissé sec par la rosée, selon les récits. Elle était desservie par 12 chanoines . Les pèlerinages à l’archange psychopompe commencèrent aussitôts, les fidèles du Moyen-Age voyant en l’éternel Chevalier vainqueur du Mal et des Ténèbres, celui qui conduisait les âmes vers Dieu et qui les pesait.

Les moines-architectes, aidés par les meilleurs hommes de l’art, réalisèrent un ensemble horizontal, vertical et hélicoïdal à la fois. La paix et la prospérité carolingiennes permirent l’édification d’importants bâtiments, que l’insularité protégea jusqu’à l’attaque Viking de 847. En 911, après le Traité de St Clair sur Epte, Rolf le Marcheur dit Rollon 1 er duc de Normandie se fit chrétien, dota richement le monastère, le fit restaurer et favorisa la renaissance des grands sanctuaires ruinés. Ses descendants aussi : Guillaume Longue Epée à partir de 927, Richard II qui y épousa Judith de Bretagne, les ducs de Bretagne Conan le Tort jusqu’en 992 et Geoffroy, ensevelis au Mont. Les dons innombrables constituaient un vaste domaine autour de la Baie, aux paysans apportant partie de leur récolte contre protection et justice. En 966, sous le pape Jean XIII et le roi Lothaire, le 3 ème duc Richard I er remplaça les chanoines dépravés par de pieux bénédictins venus de Flandre, guidés par l’abbé Maynard de St Wandrille, dont les maîtres mots étaient : pauvreté individuelle, chasteté, obéissance à l’Abbé. Longtemps le duc protecteur imposa ses abbés, dont certains accrurent prestige et puissance de l’abbaye, comme Bernard du Bec, au XII e , qui exigea des retraites sur Tombelaine et excommunia des seigneurs pillards. L’abbatiat de Robert de Thorigny, habile conseiller du puissant et riche roi d’Angleterre, symbolise l’apogée du Mont où il accueillit un fabuleux cortège de princes autour d’Henri II Plantagenêt et de Louis VII accompagné par l’archevêque de Rouen, 2 cardinaux futurs papes, 5 abbés…. Il recrutait des moines lors de ses voyages, enrichit la bibliothèque, fit construire une vaste hôtellerie (écroulée au XIXe) et son propre logis.

Il fallut agrandir dès le XI e , alors que l’art de construire avait beaucoup progressé en Normandie ; un nouveau chœur fut élevé en 1023 et la nef fut inaugurée en 1084, en présence de Guillaume ; les normands économes conservant la précédente église devenue ND sous terre , et des chapelles-cryptes étant édifiées à flanc de rocher pour soutenir l’abbatiale. Au nord, des bâtiments conventuels furent dressés sur 3 étages : le dortoir, actuelle sacristie, jouxtait l’église, au-dessus du promenoir surmontant lui même la salle de l’Aquilon, aumônerie romane. Au XII e 60 moines occupaient les lieux et la “Cité du Livre” , à la bibliothèque prestigieuse, attirait les plus grands lettrés. Début XIII e le grand royaume anglo-normand se disloqua ; en 1204, quand Philippe-Auguste prit l’Avranchin, son allié le duc de Bretagne Guy de Thouars pilla le bourg, massacra les Montois, et incendia le Mont pour n’avoir pu investir le monastère . Seuls les murs et les voûtes de l’abbaye résistèrent. Le roi, désespéré par cet acte insensé, envoya à l’abbé Jordan une forte somme d’or pour tout reconstruire en pierres de Caen et de Chausey, dans le style des nouvelles cathédrales, dont un monastère, aux bâtiments regroupés au sommet du rocher sur une plate-forme partiellement artificielle, appelé la Merveille . Il fallait séparer quiétude monacale et accueil des hommes, un ou deux niveaux plus bas, avec de nouvelles aumônerie et hôtellerie accessibles par une autre entrée.
Les moines n’étant plus que 30, la construction du cloître fut interrompue en 1228 ; le bâtiment de 2 étages prévu pour soutenir la nouvelle salle du Chapitre, ne pu être construit faute d’utilité . On élargit le rocher pour créer la nouvelle entrée des pèlerin,s et le Grand Degré menant à l’église abbatiale où les reliques furent déplacées depuis la crypte. Le nord du mont était entièrement réservé aux moines, le sud l’était à l’abbé, grand seigneur féodal ayant logis, administration, procure et salle de justice auxquelles s’ajouteront la garnison pendant la guerre de Cent Ans, puis des logements indépendants pour les moines de l’administration, le long du chemin de ronde.

Pendant la guerre de Cent ans, sous Charles V, Bertrand du Guesclin, capitaine de la garnison, écarta la menace des Anglais installés à Tombelaine. En 1386 l’abbé Pierre Le Roy, conseiller de Charles VI et universitaire réputé, fortifia le mont de tours, cours et remparts : tours Perrine, des Corbins et du Châtelet. En 1415, après le désastre d’Azincourt qui fit tomber la Normandie aux mains anglaises, l’abbé Jollivet fit clore l’ensemble d’un rempart, et construire une citerne, mais accepta ensuite de conseiller le duc de Bedford, frère du roi d’Angleterre, recevant tous les biens du Mont en récompense. Les moines restés fidèles au Dauphin, futur Charles VII, le chassèrent avec l’aide des chevaliers dépossédés réfugiés là. En 1419, quand Rouen devint anglaise, le mont fut la seule ville normande résistant encore, isolée et victime d’un long blocus. Le chœur roman effondré ne pu être reconstruit à cette époque. Si des enfants de 8 à 12 ans, “pastoureaux” vinrent en pèlerinage précédés d’étudiants et portant les blasons de leurs seigneurs, la guerre détourna généralement les pèlerins du Mont, appelés ” miquelots ” , vers St Jacques de Compostelle, moins prisé jusqu’alors ; après le XV e les pèlerinages furent encadrés, hommes et femmes séparés, ” grands gueux” allant à St Jacques, ” petits gueux” allant vers St Michel, (pauvres accueilli, pour la nuit sur les “chemins du Paradis”, dans des “sauvetés” et des hôtels-Dieu, puis à l’Aumônerie du Mont d’où ils emportaient des coquillages en souvenir de leur marche pieuse ; les autres, nourris en tavernes, logés en auberges et hôtelleries, achetaient des souvenirs dits “enseignes” de pèlerinage).

En 1424, les Anglais assiégèrent la citadelle imprenable; des troupes l’encerclèrent, un fortin de bois fut construit en face à Ardevon, une flottille assura le blocus par mer mais fut dispersée par une expédition de nobles bretons partis de St Malo. St Michel apparut à Jeanne d’Arc : ” Je suis Michel, protecteur de la France, lève-toi et va au secours du roi de France ” . Louis d’Estouteville, capitaine de la garnison nommé par Charles, contra aussi la tentative de 1433, et imposa comme abbé son frère Guillaume, cardinal, inaugurant le système de la “commende”. Le renom de l’abbé favorisa la reconstruction des maisons de bois incendiées, et de l’abbaye. Les rois y vinrent souvent mais les guerres de religion faillirent la voir “gagnée” 2 fois par ruse ; les prisonniers protestants furent enfermés à Tombelaine. Peu à peu les moines abandonnèrent les lieux, les abbés choisis par le roi parmi les grands la délaissant. Les Mauristes, érudits bénédictins, réalisèrent quelques travaux ; l’abbaye devint “Bastille des mers” pour aristocrates débauchés ou mauvais prêtres. En 1788, les fils du duc d’Orléans visitant avec leur éducatrice, Madame de Genlis, réclamèrent la destruction de la cage. La Révolution dispersa les derniers moines ; le Mont n’était plus que “maison de force” politique dont peu s’échappèrent, comme le peintre Colombat qui perça le mur avec un vieux clou et s’enfuit à l ‘aide d’une corde reçue dans un pain. La restauration au XIX e de la Merveille inachevée fut minutieuse, redonnant vie à ce témoignage d’un millénaire d’efforts.
La visite de l’abbaye nous mena, comme les pèlerins, les simples dévots, les gens d’affaires et visiteurs de l’abbé, du Grand Degré Extérieur (1393) au Châtelet-Porterie ( 1250) à créneaux et mâchicoulis, au Grand degré Intérieur et sa bailliverie occupée par moines et moniales des Fraternités monastiques de Jérusalem, à ses passerelles et sa citerne, à l’esplanade dite du Saut Gautier et à la Terrasse de Beauregard qui offre une vue grandiose sur la baie, et dans l’église ; les justiciables avaient un escalier particulier vers le pont du logis de l’abbé ; les nécessiteux entraient par l’aumônerie de plain-pied. Du transept nord de l’église (1023/1058) nous avons gagné la crypte ND des Trente cierges (1030/1040), habituellement fermée car lieu de prière de la communauté, celle des Gros Piliers (XV e ), la salle de justice-officialité, dans la partie du logis de l’Abbé dite ” Belle Chaise” (> « bella casa » belle maison, 1240) réaménagée dernièrement, la chapelle St Martin (1030/1040), et la cage à écureuil placée à l’endroit de l’ossuaire en 1818. Le grand escalier NS nous a mené au cœur du monument, dans sa partie la plus ancienne, à Notre Dame sous terre (970), qui jouxte l’oratoire de 709, puis aux cachots, à la salle de l’Aquilon (1060/1084), à celle des chevaliers (ou scriptorium ou chauffoir 1220/1225, salle à tout faire placée au-dessus du cellier où l’on rangeait les réserves alimentaires), qui porte le cloître de Dom Garin (1225/1228) aux délicats écoinçon sculptés en pierre de Caen et aux colonnettes de marbre mauve de lumachel anglais, restaurées en poudingue de la Lucerne. Du réfectoire qui nécessite une lecture monocorde, nous avons gagné la salle des hôtes et l’ aumônerie devenue billetterie.

Après un déjeuner peu frugal à Beauvoir, le village du mont, ses 40 résidents, centaines de touristes et 2 bombardes confisquées aux anglais lors du siège de 1433, nous ont accueillis à l’intérieur des enceintes des XIII e et XV e siècles.

Pour 3 millions de touristes , “pu d’promeneus que d’achteus ! “, 3 grandes familles se partagent les commerces (300, dont une commerçante qui vit encore au-dessus de sa boutique) et l’administration (8 fonctionnaires). La ville du Mont dont le blason est d’azur aux deux fasces ondées de sinople (vert ) et brochant sur le tout, à deux saumons d’argent posés en barre, rangés en pal, celui du chef contourné est l’une des rares villes françaises à avoir conservé l’ensemble de ses fortifications médiévales, enceinte des XIII e et XV e siècles entièrement classée (MH), se composant de courtines flanquée de tours semi-circulaires (tours Claudine, du Nord, de la Liberté, de l’Arcade, du Roi) et d’une tour bastionnée (tour Boucle). Chemin de ronde et parapets sont du XV e siècle, comme divers ouvrages de défense : la porte du Roi, l’Avancée et sa porte, le Boulevard et sa porte ; le corps de garde des Bourgeois est du XVI e siècle. Les 2 bombardes installées dans la barbacane sont anglaises, elles ont été tirées de la grève en 1433, après la tentative infructueuse anglaise de prendre le Mont. Le très dévot Louis XI, venu visiter les lieux victorieux et y faire pèlerinage, y fit installer une de ses “fillettes” (cage de bois et de fer). Pour imiter son ennemi le duc de Bourgogne aux chevaliers de la Toison d’Or, il créa un nouvel ordre de chevalerie : l’Ordre de Saint Michel, aux membres choisis parmi les grands du royaume, habillés de damas blanc et coiffés d’un chaperon de velours rouge. Le collier orné de coquilles d’or, portait une médaille de l’ange triomphant du dragon et la devise ; “Immensi terror oceani”, “la terreur de l’immense océan” ; ses cérémonies se déroulaient dans la chapelle St Michel, de l’île de la Cité. L’église paroissiale St Pierre a été inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques (ISMH) en 1909. Sa nef à un seul bas côté et aux piliers du XI e , abrite des fonts baptismaux XIII e , un gisant médiéval décapité, un vitrail XV e , comme la sculpture de Vierge à l’Enfant . L’ Education de la Vierge est du XVI e comme une partie du sanctuaire ; l’autel et son retable sont du XVII e . Le retable de bois et son St Michel doré ont été sculptés au XIX e par les prisonniers.
Plusieurs maisons sont classées, celles des Artichauts, de la Coquille, de la Licorne, au Pot de Cuivre, de la Truie qui File, de Saint-Aubert, de Tiphaine Raguenel (épouse de Duguesclin), de Saint-Symphorien, les hôtels Saint-Pierre, du Dauphin, du Mouton-Blanc, de la Mère Poulard.
Après cette belle journée, nous quittons notre guide à regret mais regagnons avec plaisir notre bonne ville de Caen. B.F.