Promenade dans le polyptyque de l’Agneau Mystique (1432), œuvre des flamands Hubert (1366 ?-1426, artiste mystérieux aujourd’hui, très connu du temps) et son frère Jan van Eyck (1380?-1440, peintre-diplomate de Philippe le Bon, duc de Bourgogne), fondateurs de l’Ecole de Bruges, qui perfectionnèrent le séchage de la peinture à l’huile en y ajoutant un siccatif.

L’utopie d’un langage universel hanta l’esprit des hommes à toutes époques. Les théologiens, pensant unis Ecritures et Univers, œuvres de Dieu, choisirent le terme grec “symbolon” (objet coupé en 2 par deux personnes pour se reconnaître) pour nommer des “objets”, et la symbolique devint moyen d’exprimer le langage de la Foi. Les premiers chrétiens, créèrent une iconographie secrète pour exprimer leur croyance : croix, poisson, calice, agneau, vigne, symboles contrôlés par l’Eglise officielle dès que l’Edit de Milan lui donna la liberté de culte en 313. Les images, inspirées souvent de celles des religions préexistantes, étaient alors accessibles à tous, mais la clé complexe de leur lecture, positive et négative à la fois, évoluant avec le temps, nous est rarement donnée aujourd’hui.
Pour élaborer ce polyptique les peintres furent sans doute conseillés par un religieux lettré, s’appuyant à la fois sur les Testaments, l’Apocalypse de St Jean et des textes antiques, les écrits des Pères de l’Eglise, les lettres de St Bernard, des textes de Guillaume Durand, évêque de Mende ou de son contemporain Jacques de Voragine archevêque du Gênes au XIIIe siècle.
Joos Vijdt et Lysbeth Borluut, commandèrent ce retable d’autel pour leur chapelle rayonnante de l’église St Jean (cathédrale St Bavon) en 1420, souhaitant “une messe quotidienne en l’honneur de Dieu, sa mère bénie, tous les saints, selon la liturgie changeante du calendrier ecclésiastique, et dans la promesse de la liturgie éternelle et du salut éternel”
L’Agneau Mystique chante le Don Eucharistique et la Rédemption. Il est la représentation du secret de la messe. Les volets extérieurs résument l’histoire du monde : Les deux Jean, Baptiste et Evangéliste, représentent l’Ancien et le Nouveau Testament. L’Annonciation les domine, surmontée par Zacharie et Michée prophétisant aux juifs, les sibylles d’Erythrée et de Cumes aux gentils, la venue du Sauveur ; les commanditaires représentent l’humanité à sauver. Ces volets, presque monochromes, s’ouvrent sur une féérie de couleurs qui chante le Salut. La figure immense du Seigneur à triple tiare papale (le pouvoir sacré, celui de juridiction aux clés, celui de magistère par l’infaillibilité ; ou les pouvoirs spirituel, temporel, et l’autorité sur les princes), assise sur un trône, bénit son peuple des 3 doigts levés de sa main droite (les 3 personnes dans une unique nature divine). Son sceptre est celui des empereurs : d’or (immortalité) et de cristal de roche (comme le diamant, symbole de pureté et perfection, vertu accomplie, force de résistance aux œuvres du diable ; sa capacité à transmettre et renvoyer la lumière divine peut provoquer des visions, stimuler l’imagination et donc la méditation). Le pélican brodé sur son vêtement représente Jésus qui, comme cet animal infanticide dans le Physiologus du IIIe siècle, fait revivre ses enfants 3 jours après leur mort grâce au sang de son flanc percé et à ses larmes; Son émeraude couleur de la nature, est symbole d’espérance lié à l’idée de renaissance et de rédemption, comme le vert du vêtement de Jean Baptiste, le précurseur. Marie porte des perles (rondes comme le symbole du Ciel donc de perfection, blanches comme la vertu, à la douce brillance de la lune (litanies de la Vierge), symbole du Christ car protégées par les coquilles des deux Testaments), les rubis du galon brillent (comme le charbon dans l’obscurité qui chasse les démons, rouges comme le sang du Christ). Elle et Jean le Baptiste forment avec lui une Déisis, entourés d’anges chanteurs (aux expressions indiquant les 4 voix de la polyphonie très prisée à la cour de Bourgogne), et musiciens (vielle à 5 cordes des 5 plaies du Christ), dont le lutrin écrase un singe sculpté (pécheur rusé soit disant repenti et tentant de racheter ses mauvais instincts). Adam et Eve, dont la faute a ruiné le monde de l’innocence, comme Caïn tuant Abel en est l’exemple, sont l’humanité pècheresse. Dans la grande composition construite sur des cercles (ciel), un jardin paradisiaque entoure l’autel blanc et rouge du sacrifice, entouré d’anges aux instruments de la Passion, sur lequel l’Agneau mystique verse son sang dans un calice. Par les sept canaux des sacrements, le Sang de l’Agneau vient remplir la Fontaine de vie (octogonale, comme les baptistères) entourée de pierres précieuses (l’humanité doit travailler comme elles : plus elles scintillent, plus grandes sont les vertus, et leur association figure le Paradis au lit d’eau jonché de pierres précieuses). Formant une croix, l’humanité de l’Ancien Testament s’approche: patriarches, philosophes antiques et prophètes, celle du Nouveau Testament aussi: apôtres, papes et les évêques, vierges et martyrs ; et l’armée des chrétiens qui glorifient Dieu dans le monde : juges intègres (panneau volé disparu, remplacé par une copie réalisée en 1950 par Jef Van der Veken), croisés; l’armée des chrétiens qui glorifient Dieu en quittant le monde : saints pèlerins et saints ermites.

Ces quelques exemples, pris parmi tant d’autres dans ce retable d’autel, nous montrent que dimensions, dispositions, couleurs, personnages, flore et faune, matériaux, objets etc…peints ici par des artistes au talent immense, sont surtout symboles prêtant à méditer. On ne peut s’empêcher de penser aux “mystères” joués au Moyen Age sur le parvis des églises, et regretter notre ignorance de ce langage par l’image, pourtant “Bible du pauvre” de nos ancêtres. B. F.