Histoire d’un lieu d’une famille : le site de Keremma est indissociable d’un homme Louis Rousseau (1787-1856) et du contexte culturel dans lequel s’inscrivent ses initiatives car son itinéraire personnel le rend particulièrement réceptif à différents courants de son époque visant à transformer la société.

Engagé dans la marine en 1804, alors qu’il n’a pas 17 ans, il se retrouve dès décembre 1805, prisonnier sur le ponton anglais. Les 8 ans qu’il y passe, et au cours desquels il tente à 22 reprises de s’évader, sont décisifs pour son avenir, car il acquiert une formation théorique à travers les ouvrages de philosophie, d’agriculture, d’astronomie qu’il peut alors se procurer, tandis que la micro société dans laquelle il vit lui offre un laboratoire d’observation qui le renvoie à la société globale. Il en tire des réflexions sur les méfaits de la civilisation occidentale. En 1814 il rentre en France et démissionne de l’armée. Il s’installe à Angerville comme cultivateur et brasseur. Il épouse en 1817 la fille d’un entrepreneur, Emma Michaud. Ses affaires ne marchent pas bien. En 1822, il vend ses terres, loue sa brasserie et part s’installer en Bretagne où il se livre à une opération de «colonisation agricole». Il achète alors, à 30 kms à l’ouest de Morlaix, 300 ha de terrains dans une zone, autrefois recouverte par la mer, de sable et de marais.

De gros travaux durent être entrepris pour conquérir ces terres sur la mer, en particulier une digue qui, par trois fois, fut détruite par des violentes tempêtes (de 1824 à 1826), assèchement également d’un étang : les terres asséchées furent ensemencées de lin et de chanvre. Il y eut l’installation des premiers fermiers sur de petites exploitations se livrant à la culture et à l’élevage.

Louis Rousseau n’est pas seulement un homme d’action : il y a chez lui une véritable obsession de transformation sociale, mûrie durant sa captivité, et qui ne le quitte pas. Il veut faire du domaine de Keremma un exemple contagieux pour une réforme sociale globale s’inspirant des différents courants de pensées de son époque, en particulier du Saint-Simonisme et du Fouriérisme. Il veut «réveiller d’un sommeil dangereux ses contemporains marchant comme des somnambules vers l’abîme». Il ne suffit pas de produire, «il faut trouver le moyen de faire place à tous au banquet de la vie». Ses préoccupations sociales s’accompagnent d’une autre constante : sa volonté de traduire dans les faits ses idées sous forme associatives. Il revient au catholicisme et la «tribu chrétienne» est à ses yeux la forme accomplie de l’association qui suppose à la fois une organisation économique rationnelle et une harmonie sociale.

Le projet associatif de Louis Rousseau n’a donné de son vivant qu’une maigre réalisation, sans grand rapport avec son rêve initial. Mais il reste ancré dans les lieux par la permanence de ses descendants qui, sans poursuivre les mêmes objectifs, gardent néanmoins un attachement à des formes communautaires qui participent de l’originalité du site.
Aujourd’hui, il y a 2000 descendants dont environ 500 viennent chaque année en vacances à Keremma dans les 140 maisons construites sur le site.
Une association très vivante, un journal deux fois par an, un annuaire remis à jour tous les 4 ans, des terrains communautaires (tennis, club house, terrains de foot) une allée dite «la longère» des sert toutes les propriétés afin d’éviter la grand route aux enfants. Il n’y a aucune barrière entre les jardins, seulement des haies et des allées d’arbre. Une vingtaine de personnes seulement y vivent à l’année.

Odile Waché