Cette conquête est très différente de celle de l’Angleterre qui suivra car elle ne fut ni menée par un duc, ni savamment préparée, ni due à des revendications légitimes. Elle résulte de migrations,
Les sociétés sont mobiles au Moyen-Ȃge. Il n’y a pas de capitale, rois et princes vont de villes en villes (Lens, Reims, Orléans, Paris etc.), de domaines en domaines. Le roi circule avec ses clercs, l’administration, le trésor, le sceau et les archives ; les moines vont d’un monastère à l’autre, les marchands voyagent de pays en pays, en Europe ou ailleurs (Marco Polo), les pèlerins, les exclus et les aventuriers aussi.
Avant que Knut le Grand ne fonde un État fort en Angleterre en 1016, les Normands étaient en relation étroite avec le monde nordique, ses traditions et ses croyances. A partir de Richard II, ami et allié du roi capétien Robert le Pieux, ils changent de politique et s’intègrent à l’Europe chrétienne. La Normandie se dote d’un pouvoir fort, l’administration est confiée par le duc à des comtes et vicomtes. Soit les fortes têtes du Bessin et du Cotentin, dont l’esprit Viking ou irlandais n’a jamais voulu obéir à Rollon et à ses suiveurs, plient, soit ils partent avant d’être exilés sans jugement, famille poursuivie, biens saisis…
D’autres quittent le toit familial faute de terres ; ils vont à l’aventure (la famille de Tancrède de Hauteville comptait 12 enfants).
Les criminels font le choix de fuir, poursuivis par une justice ducale organisée.
Qui émigre ?
65 % partent de Basse-Normandie (27 % de la Manche, 24 % du Calvados, 14 % de l’Orne) pour 35 % de Haute-Normandie, mais tous ne sont pas Normands (Bretons, Angevins, Aquitains Flamands etc.). Souvent issus de familles modestes mais quelques uns sont des aristocrates. Ils partent par les terres car très peu partent par la mer, qu’ils n’aiment plus, et ils sont rarement seuls (famille, amis, vassaux).
Ce sont essentiellement des chevaliers mais aussi des clercs et des femmes.
Pourquoi l’Italie ?
Ils sont allés dans tous les pays méditerranéens mais ne peuvent rester là où les pouvoirs sont forts. L’Italie est fragilisée par ses divisions. Apulie et Calabre dépendent des empereurs grecs byzantins, la Sicile est sous domination arabe, les Lombards occupent les principautés latines en guerres intestines et incessantes pour lesquelles les Normands vont se louer comme solides mercenaires.
La conquête s’est faite en 7 phases, de l’An Mil à 1096.
• Le temps des pèlerins (1000-1016) auxquels on demande de l’aide. En 1016 Mélès offre aux pèlerins venus au Mont Gargano de rester pour chasser les grecs des Pouilles. Ils s’éloignent.
• Le temps des mercenaires (1016-1040). Ils reviennent armés de pied en cap pour servir, en escadrons compacts princes et abbés, qui se les arrachent. Des fortunes considérables se font : la cathédrale de Coutances, son palais épiscopal, 2 parcs de chasse, la moitié de la ville ont été financés par un seul homme. Le normand Rainolf 1er d’Aversa est le premier exemple d’une réussite exceptionnelle.
• Le temps des seigneurs de Pouille (1040-1046). De plus en plus nombreux, on ne sait comment se débarrasser des Normands et les Lombards les envoient vers l’Apulie, terre de Byzance. En 3 ans, combattant pour leur propre compte, 12 “barons” normands se répartissent 12 cités et prennent comme premier comte Guillaume Bras de fer, fils de Tancrède de Hauteville.
• Le temps du rejet (1046-1053). Leurs exactions les font détester. Certains sont assassinés. Le pape Léon IX qui les nomme “nouveaux sarrasins” prend contre eux la tête d’une coalition composite regroupant Grecs, Lombards et Allemands. Le 17 juin 1053 la bataille de Civitate, au pied du Mt Gargano : son armée de 30 000 hommes s’oppose à 2 à 3000 normands. La “furie normande” l’emporte, le pape fait prisonnier est traité avec les plus grands égards. Robert de Hauteville dit Robert Guiscard “le rusé” demande l’absolution au pape et lui fait dire “Par la volonté de Dieu” pouvoir est donné aux Normands par la Providence divine….
• Le temps des confirmations (1053-1071). Robert Guiscard conquiert des terres avec une audace incroyable, aidé de ses frères dont le plus jeune, Roger, vient tout juste d’arriver en Italie… Ils ne font pas de cadeau ; devenu comte d’Apulie, en évinçant deux jeunes neveux, il conquiert toute la région (sauf le sud resté aux Byzantins) puis attaque la Calabre. Le pape Nicolas II, affaibli par la Querelle des Investitures avec le St Empire Romain Germanique et le schisme religieux de 1054, officialise les possessions normandes, fait Robert duc d’Apulie portant bannière papale lors des conflits. En 1061 Robert et Roger commencent la conquête lente et difficile de la Sicile quadrillée de forteresses musulmanes. Après Agrigente, Palerme tombe et devient la capitale de Robert en 1077.
• Le rêve Impérial (1071-1085). La dernière grande expédition de Guiscard et de ses barons est d’attaquer l’Empire romain d’Orient, ces Byzantins efféminés qu’ils détestent. Il avait fiancé une de ses filles avec le fils du basileus Michel VII mais cette famille avait été renversée et il s’embarque en 1082 pour battre l’empereur Alexis Comnène. Appelé au secours du pape Grégoire VII, assiégé dans le château St Ange par l’empereur germanique Henri IV, il rentre à Rome, en chasse l’empereur et laisse ses troupes faire le sac total de la ville car il n’admet pas que les romains aient laissé agir les allemands contre le pape. Il repart en Grèce mais meurt de la typhoïde en juillet 1085.
• L’achèvement de la conquête (1085-1130). Bohémond, le fils de Robert, est écarté des duchés d’Apulie, Calabre et Sicile pour son jeune demi-frère Roger Borsa. Il s’embarque avec des hommes de sa famille pour la première croisade, s’empare d’Antioche en 1098, dont il devient prince. Philippe 1er, roi de France, lui donne sa fille Constance en mariage.
Le 25 décembre 1130, Roger II, qui a placé sous son autorité toutes les possessions normandes en Italie, est couronné roi de Sicile dans la cathédrale de Palerme par l’antipape Anaclet II. Il poursuit la politique anti-byzantine de son grand-père Guiscard. L’Italie du sud et la Sicile sont réunies dans ce royaume normand, sous la souveraineté du pape.
En Italie du sud les Normands ont livré plus de 100 batailles.
Les raisons de tels succès, hors la “Virtus normannica” sont l’énergie, l’ambition, la cupidité. La division des adversaires, Lombards, Grecs, Arabes et Allemands, opposés ethniquement, linguistiquement et religieusement les a aidés ; le schisme de 1054 un peu plus ; les ambitions hégémoniques du pape, de l’empereur germanique et de l’empereur de Byzance davantage encore.
Leur grande force, dans les batailles, a été la chevalerie : comme chaque seigneur devait venir à l’ost ducal avec un chevalier totalement armé, les Normands se sont lancés dans l’élevage.
L’édification de forteresses, enfin, leur a permis de tenir les terres conquises. B.F.
Livres conseillés :
Les Empires Normands d’Orient, de Pierre Aubé, poche
L’aventure des Normands, de François Neveux, poche
Et ceux du conférencier, bien sûr.