Situé en limite du Pays d’Auge, des plaines de Caen et de Falaise, baigné par les eaux de la Dives et des ruisseaux du Gronde et de la Vie, le bourg de l’Epinay qui avait pris au Xe siècle le nom de Pierre, saint patron de son église, grandissait vite, les étals de la place aux pommes n’y suffisaient plus. Dès le XIIe siècle le marché figure dans des textes officiels ou des dictons “A la foire de la Madeleine, les noisettes sont pleines”. La place, restructurée en 2000, met en valeur la halle édifiée aux XIIe et XIIIe siècles dont demeure une façade SO à arc brisé, avec trous de boulins au revers, et deux ouvertures tréflées. Les moines cisterciens en percevaient les taxes. Fin XVe un abbé fit allonger le bâtiment et refaire les voûtes de sa nef en réutilisant le bois des cintres et piliers nécessités par la reconstruction du sanctuaire de l’abbaye. Les ouvertures de la façade NE, plus récente, sont différentes. On y a parfois stocké du grain mais elle n’a jamais été grange aux dîmes. A l’époque des tanneries établies sur la Vie en faveur de l’abbaye par lettre patente de Charles III le Simple, roi de Francie occidentale, on y faisait sécher les peaux. Sans étals, propriété de la commune depuis la Révolution, classée au titre des monuments historiques en 1889 quand elle était vouée au commerce du beurre, la halle accueille aujourd’hui sur son sol pavé le marché du lundi matin. en août 1944 cet édifice remarquable du patrimoine médiéval normand a été incendié par des tirs allemands; il a été reconstruit à l’identique : 290 000 chevilles de châtaignier assemblent tuiles anciennes, charpente en chêne au faîtage avec chevrons à fermes indépendantes et contreventements, poteaux sur base de pierre pour la plupart récents.
L’abbaye a été fondée au XIe siècle par la Comtesse Lesceline, grand-tante de Guillaume le Conquérant inhumée dans le chœur en 1057. Son mari Guillaume d’Eu, demi frère de Richard II de Normandie par mariage “more danico” (les normands, selon la coutume danoise, pratiquaient la polygamie et considéraient les enfants nés de leurs “frilla” comme légitimes ; le 1er à rompre cette tradition fut Le Conquérant), voulait un château fort sur la Dives. A sa mort Lesceline transforme le projet par une abbaye où elle fait venir une communauté de bénédictines et, pour en assurer les revenus, fait don de terres à la Sainte-Trinité de Rouen dont elle dépend. Devenue abbaye d’hommes fidèle au duc Robert Courteheuse, elle brûle sur ordre d’Henri Ier Beauclerc en 1106, lequel décide de la reconstruire aussitôt après sa victoire de Tinchebray contre son frère car ND de l’Epinay y fait des miracles. L’abbé Haimon la développe au sol pour les rites processionnels bénédictins et l’afflux de pèlerins. En 1470 elle est mise “en commende” bien avant la signature du concordat de Bologne. Reconstruite au XVIe siècle par l’abbé Jacques de Silly elle est pillée par les protestants. Au XVIIe la réforme de Saint-Maur (Maison mère à St-Germain-des-Prés) lui profite, comme aux abbayes de Caen, Sées, Lessay, Fécamp, St Wandrille, Le Bec etc. Bâtiments et cloître sont reconstruits classiques, mais la Révolution détruit une partie de ce dernier, les bâtiments conventuels des XVIIe et XVIIIe sur caves médiévales sont morcelés, un café dont quelques fresques subsistent s’installe dans les murs.
En pénétrant dans la cour du Chapitre nous admirons la couleur dorée du chevet à frise de quatre feuilles sur lequel se détachent 5 chapelles rayonnantes profondes. La très proche carrière du Rocreux n’étant plus exploitée, on utilise la pierre jaune paille à fins débris coquilliers de Mauzens, Dordogne, pour les restaurations. La galerie nord du cloitre XVIIIe subsiste ; certains pensent le 1er cloître identique à la Merveille du Mont St Michel. Dans la salle capitulaire XIIIe, face aux arcatures gothiques aveugles séparées par de fines colonnettes à chapiteaux feuillus, exposition de tableaux consacrés par André Lemaître aux “Grands Normands” sous deux voûtes quadripartites à arcs brisés retombant sur une ligne de colonnes centrales. La tour-lanterne, à base carrée XIe, inonde de lumière le sanctuaire par deux niveaux de baies. Deux tours ornent la façade de l’église ND de l’Epinay (paroisse Saint Wambert des Trois Vallées ; Wambert fut martyrisé par les Vikings au IXe siècle) séparées par une porte à vantaux de bois de 1715. Au sud, la tour St-Michel, romane, soutient une flèche du XIIIe siècle. Donjon et pigeonnier des moines elle ne contint jamais de cloches et le dernier de ses 4 étages d’arcatures comporte des arcs brisés et quatre oculi. La tour nord, aux imposantes baies du XIIIe est moins haute. Au nord, belle porte latérale au décor de bâtons brisés.
Depuis les piles intérieures du XIe des colonnes ont été dégagées au XIIIe siècle pour pouvoir modifier les voûtes qui surmontent l’élévation à 3 niveaux (arcades, triforium, verrières) et un bandeau de 4 feuilles. Sur la tribune, l’orgue de Schultz, conçu en 1886 sans buffet décoratif, a été endommagé en 1944 puis pillé. Il a été restauré en 1964. Devant l’Espace Sacré, pour palier le poids de la tour-lanterne, un arc a été tendu entre les colonnes sur lesquelles l’abbé mauriste musicien Ainard, a placé deux anachroniques chutes d’instruments de musique. Dans le bas côté sud, une plaque de cuivre percée d’un trou remplace une partie de verrière et sert à établir la hauteur du soleil : c’est un gnomon de 1776. Les rayons solaires le traversent chaque jour à midi et se posent sur le sol, formant une ligne droite oblique de longueur conséquente tracée en creux dans ce lieu protégé par le curé d’une paroisse voisine. Ce cadran solaire ne fonctionne qu’au midi vrai pour des besoins astronomiques qui concernent le seul soleil; nommé “méridienne astronomique” les solstices, équinoxes et signes du zodiaque sont portés dessus (solstice d’été le 21 juin, signe du cancer ; solstice d’hiver le 21 décembre, signe du capricorne etc.). Dans le chœur, de grande taille comme le déambulatoire et les 5 chapelles rayonnantes, stalles et boiseries début XVIe aux armes de l’abbé Jacques de Silly qui les commanda, antependium de bois doré XVIIe à restaurer, luxueux et exceptionnel pavement du XIIIe siècle, composé d’une rosace de 3 m de diamètre en céramique émaillée du Pré-d’Auge aux motifs alternés de fleur de lys, aigle à deux têtes, cerf, chimère ou lion. Placé au-dessus des tombes de chevaliers et de Lesceline il forme comme une auréole sous une croix en calcaire coupant les côtés d’un carré. Processus de fabrication : quand le pavé de terre crue est encore mou on y fait une marque en creux (ou en relief) au tampon. On verse ensuite de la barbotine dans le creux formé dans la terre cuite devenue rouge, elle devient blanche à la cuisson. Une couverte d’émail la fait briller, 4 pavés sont parfois nécessaires pour former un motif.
Aujourd’hui La ville procède peu à peu au rachat d’un des ensembles les plus complets de l’architecture monastique en Normandie ; elle veille à sa difficile restructuration par un long chantier de restauration (enduit à clous par exemple). B.F.
