[**Edith au Col de cygne retrouvant le corps d’Harold après la bataille d’Hastings.*]

Un héritage controversé. Quel écho hier et aujourd’hui ? Par Danielle Férey
Notre conférencière s’attache à présenter les conquêtes normandes du point de vue anglais, très différent du nôtre.
L’histoire commence avec la bataille d’Hastings menée le 14 octobre 1066 par Guillaume Le Conquérant. Il n’est pas vraiment “conquérant”, c’est celui qui, dans la crise de succession ouverte par la mort du roi d’Angleterre Edouard le Confesseur (1042-1066), revendique un trône pour lequel il se sent légitime en raison de sa place dans la généalogie du roi mort sans descendance. Cette dernière, extrêmement compliquée, mêle les destinées de trois branches pouvant prétendre au trône : la [**branche anglo-saxonne*] d’Harold Godwinson liée à Emma de Normandie, fille du duc de Normandie Richard 1er, d’abord épouse du roi d’Angleterre Aethelred II (roi de 978 à 1016) et mère d’Edouard le Confesseur (roi de 1042 à 1066) ; [**la branche danoise*] de Sven Estrihsson, qui ne perd jamais une occasion de tenter de récupérer le trône occupé par Knut le Grand, roi d’Angleterre (1016-1035), de Danemark (1018-1035) et de Norvège (1030-1035) après son mariage avec Emma, veuve d’Aethelred II, puis par ses fils ; [**la branche normande*] de Guillaume, issue en droite ligne de Richard Ier.
C’est bien Guillaume qui est le légitime héritier de ce trône. Harold y prétend aussi car lui et sa sœur Edith sont les enfants de Godwin, très puissant comte du Wessex et de Kent ; en épousant Edith, Edouard le Confesseur a fait d’Harold Godwinson son beau-frère. La tapisserie de Bayeux relate qu’il a juré sur des reliques ne jamais prétendre au trône d’Angleterre et pourtant il va se faire sacrer roi.
Considérons la géographie physique et sociale de cet épisode de l’Histoire : la Manche étant très facilement traversée, les échanges sont nombreux entre l’Angleterre, pays très peu peuplé (1,5 millions d’habitants), et la France (environ 10 millions d’habitants). De plus, la Normandie est une contrée présentant unité et véritable dynastie alors que l’Angleterre est formée d’une constellation de comtés très autonomes et divisés.
Dans ce contexte, le sacre d’Harold, vu comme une trahison du côté normand, est beaucoup mieux considéré du côté anglais car le parjure a obtenu la consécration de l’évêque Stigant puis l’approbation du peuple.
L’expédition organisée par Guillaume est un acte audacieux, très méticuleusement préparé et ayant nécessité des trésors de logistique. La bataille d’Hastings et la victoire incontestable des Normands s’explique par cette parfaite stratégie mais aussi par l’éparpillement des Anglais menés par Harold, obligés de défendre le nord de leur pays des incursions danoises pour aussitôt rejoindre le front du sud et faire face aux farouches troupes normandes qui useront de la ruse à deux reprises en faisant mine de s’enfuir pour mieux décontenancer l’ennemi. La bataille fut un carnage dont la Tapisserie de Bayeux donne une idée. Si, du côté français, les pertes furent importantes (la moitié des troupes), ce fut pire du côté anglais, “dies fatalis Angliae“, toute la jeune élite anglaise y perdit la vie. Guillaume marcha aussitôt sur Londres pour s’y faire sacrer, toute opposition fut écrasée, la civilisation anglo-saxonne fut étouffée et la noblesse dépossédée en 20 ans par un ennemi implacable réprimant toute révolte dans le sang. Peu à peu, l’apparente soumission des Anglais cacha le développement d’un sentiment national ; dans les années qui suivirent, l’opposition se fit jour et les Anglais restèrent marqués à jamais par une rancune tenace contre l’envahisseur normand, même si l’alliance des deux civilisations fut la source de l’évolution de l’Angleterre vers la modernité.
Le récit se termine sur les traces que laisse cet épisode dans l’imaginaire britannique et sa mémoire collective : le sentiment très fort qu’un peuple raffiné et cultivé s’est retrouvé sous la coupe d’un envahisseur beaucoup plus fruste, ce qui n’est pas exact. Ainsi durant le XIXe, siècle de l’éveil des Nationalités, bien des thèmes remontant aux temps anciens, en particulier la légende du roi Arthur, furent repris, magnifiés et replacés dans un cadre romantique propre à glorifier ce fier peuple qui a retrouvé sa langue et conservé ses traditions. À Bayeux, sur le monument honorant les soldats britanniques morts durant le Débarquement en Normandie et la Seconde Guerre Mondiale, est gravée cette phrase : “Nos, a Guillelmo victi, victoris patriam liberavimus” (nous, vaincus par Guillaume, avons libéré la patrie du vainqueur)…
On peut tempérer ce discours au vu des incontestables apports de cette conquête normande, au delà de la profusion extraordinaire de fortifications semées sur cette île : droit foncier et institutionnel, art, techniques d’architecture de chasse ou d’élevage, littérature, cuisine etc. C.C.